Nous avons rencontré Madame ISOARD-GAUTHEUR Sandrine, maîtresse de conférence à l’Université Grenoble Alpes, lors du colloque portant sur le bien-être et le burn-out chez les sportifs, qui s’est déroulé le samedi 7 Octobre 2023, à la médiathèque de Romans Sur Isère.

Pour l’occasion, madame Isoard-Gautheur a bien voulu répondre à notre interview portant sur le Burn-Out chez les sportifs, afin d’apporter plus de réponses dans la compréhension de cet état.

Interview réalisée par notre éducateur, Clément ZALEJSKI

Clément: « Bonjour Sandrine, avant de commencer cette interview, pourriez-vous vous présenter ? Votre parcours professionnel et ce qui vous a amené à étudier le Burn-out chez le sportif ? »

Sandrine: « Bonjour, je suis actuellement Maîtresse de Conférence à l’UFR STAPS de Grenoble/Valence, affiliée au laboratoire SENS. Mes recherches portent sur l’effet de l’activité physique sur le bien-être professionnel, ainsi que sur les antécédents, les conséquences et la caractérisation du burnout sportif. Mon parcours académique a débuté avec une formation en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) à Valence, suivi de la poursuite de mes études en Master STAPS à Lyon. Au cours de ce Master, j’ai choisi de me spécialiser dans la recherche, en particulier dans le domaine de la psychologie sociale appliquée à la performance sportive. Au fil de mon parcours académique, j’ai dans un premier temps porté mon intérêt sur la prédiction des blessures sportives. Au travers de mes lectures et des échanges avec mon encadrante, Emma GUILLET, nous avons conjointement décidé de nous pencher sur un sujet encore méconnu à l’époque: le burnout sportif. Nous avons rapidement identifié l’importance et le potentiel de cette thématique pour le domaine de l’entraînement sportif. »

Clément: « De plus en plus nous entendons parler du burn-out professionnel, et c’est un terme encore peu utilisé dans le monde du sport. Comment peut-on définir le burn-out chez un sportif ? » 

Sandrine: « Depuis plusieurs années maintenant, il existe une définition reconnue et opérationnelle du concept de burnout dans le contexte sportif. Raedeke & Smith (2001) ont proposé de définir le burnout sportif comme un syndrome composé de trois dimensions : 

  • l’épuisement physique et émotionnel, qui correspond à un sentiment de fatigue physique et émotionnelle lié aux demandes de l’entraînement et de la compétition;
  •  le sentiment d’accomplissement réduit, qui correspond à un sentiment d’inefficacité dans la pratique et à la tendance à s’évaluer négativement en terme de performance sportive et d’accomplissement;
  • et la dévalorisation du sport, qui correspond à un manque d’intérêt pour le sport et la performance, et des attitudes négatives et détachées vis-à-vis du sport.

À la lumière des préoccupations récentes au sujet de la définition de Raedeke & Smith, nous (Isoard-Gautheur et al., 2018) avons proposé une nouvelle définition et échelle de mesure du burnout sportif : l’Athlete BurnOut-Scale (ABO-S) basées sur des données de terrain. Le burnout sportif pourrait être défini comme une combinaison de trois dimensions:

  • le sentiment d’accomplissement réduit, qui correspond à un sentiment d’inefficacité et une tendance à s’évaluer négativement en termes de performances sportives et d’accomplissement;
  • l’épuisement physique, qui correspond à un sentiment de fatigue physique lié aux demandes de l’entraînement et de la compétition;
  • les sentiments négatifs envers le sport, qui représentent une combinaison d’attitudes négatives et détachées vis-à-vis du sport, et un manque d’énergie émotionnelle.

Il reste encore du travail à faire autour de la définition et la caractérisation du burnout sportif, nos projets futurs vont dans ce sens. Toutefois, l’on peut retenir que le burnout peut être caractérisé par un épuisement à la fois physique et mental, par le sentiment que l’on ne réussi plus aussi bien dans notre sport, et par des sentiments négatifs et détachés envers notre sport. »

Clément: « Que ce soit pour les éducateurs, parents, et même athlètes, comment peut-on déceler l’apparition de cet état de Burn-out ? Quels sont les signes qui doivent alerter ? »

Sandrine: « Gustafsson et ses collaborateurs en 2011 ont effectué un travail très intéressant de recension des travaux sur le burnout sportif. A partir de ces travaux et des modèles conceptuels du burnout, les auteurs ont proposés un modèle explicatif intégrateur reprenant tous les résultats obtenus dans les études portant sur les antécédents et les conséquences du burnout. Une des forces de ce travail a été l’identification de signes précoces :

  • la diminution des formes auto- déterminées de motivation, c’est-à-dire lorsque les athlètes prennent de moins en moins plaisir dans leur pratique, qu’ils se sentent contraints d’aller à l’entraînement ou en compétition;
  • la frustration vis-à-vis du manque de résultat, qui peut se manifester après les compétitions;
  • la diminution des performances;
  • et les perturbations de l’humeur, par exemple lorsque les athlètes réagissent par de la colère ou de la tristesse de manière excessive. Ces indicateurs permettraient de repérer les premières manifestations du burnout sportif. »

Clément: « Quels sont les paramètres (causes) qui favorisent la survenue du Burn-out chez le sportif ? » 

Sandrine: « Le burnout est un phénomène plurifactoriel, ce qui rend d’autant plus complexe l’identification des causes qui favorisent sa survenue chez les sportifs. Il est possible de regrouper ces causes en fonction de leur origine, à savoir les causes liées à l’environnement, et celles liées à l’athlète. Dans la littérature scientifique, plusieurs revues permettent de lister ces causes.

Parmi les causes liées à l’environnement, nous pouvons retrouver :

  • Les entraînements excessifs couplés au manque de récupération
  • Les exigences du sport, mais aussi celles des autres domaines de la vie de l’athlète (scolaires, professionnelles…)
  • Les relations sociales stressantes, par exemple des conflits avec les autres athlètes ou l’entraîneur
  • Le succès précoce, c’est-à-dire le fait d’avoir rapidement atteint le sport de haut niveau
  • Un faible soutien social de la part des entraîneurs, des pairs et de la famille
  • Un entraîneur impliquant l’ego (qui se focalise uniquement sur la performance) et qui aurait tendance à frustrer les besoins psychologiques fondamentaux (c’est-à-dire ne pas laisser d’autonomie à l’athlète, ne pas donner de feedback sur ses compétences et l’évolution de celles-ci, et ne pas adopter une attitude chaleureuse),
  • Une relation entraîneur-entrainé de mauvaise qualité (c’est-à-dire que l’athlète et l’entraîneur ne se soutiennent pas mutuellement, qu’ils n’ont pas l’impression de poursuivre un but commun, et qu’ils n’ont pas le sentiment de coopérer ou de s’entraider).

Parmi les causes liées à l’athlète, nous pouvons retrouver :

  • Le perfectionnisme prescrit socialement, c’est-à-dire la tendance d’une personne à ressentir une pression ou des attentes externes pour atteindre des normes de perfection imposées par d’autres personne,
  • L’anxiété, c’est-à-dire la tendance à vivre les situations futures (par exemple la compétition) comme menaçantes,
  • Les buts poursuivis, c’est-à-dire des buts uniquement accès sur la performance et non sur la maîtrise des tâches sportives,
  • Une identité athlétique exclusive, c’est-à-dire une forme d’identité où une personne se définit principalement, voire uniquement, en tant qu’athlète ou en relation avec sa participation à des activités sportives,
  • Une estime de soi basée sur la performance, c’est-à-dire une forme d’estime de soi qui dépend largement des réalisations, des compétences, et des succès d’une personne. Dans ce cas, la valeur personnelle est étroitement liée à la performance notamment dans le contexte sportif,
  • Une passion obsessive, c’est-à-dire un intérêt intense et souvent compulsif pour les activités sportives ».

 

Clément: « … et quelles en sont les conséquences, physiques et psychologiques, autres ? »

Sandrine: « Une récente revue de la littérature (Glandorf et al., 2023) a permis de lister les conséquences du burnout. Elles sont nombreuses et soulignent la nécessité de s’intéresser à ce phénomène. Au niveau de la santé mentale, on retrouve, une augmentation des symptômes dépressifs, de l’anxiété, l’adoption de comportements addictifs, des insomnies, de l’inquiétude, des troubles de l’humeur, une détresse psychologique, une insatisfaction de l’image corporelle, une diminution de la satisfaction, de la vitalité subjective, et de la qualité de vie, qui sont associés au burnout. Au niveau de la santé physique, on retrouve une diminution de celle-ci, des symptômes physiques et somatiques, et l’augmentation du risque de blessures, qui sont associés au burnout. »

Clément: « L’état de Burn-out atteint, quels sont les moyens pour que le sportif s’en sorte et reprenne goût à l’activité ? »

Sandrine: « Aujourd’hui, il existe peu de preuves sur les interventions qui fonctionnent pour « soigner » le burnout. Seuls Jouper et Gustafsson (2013) ont proposé une intervention destinée à aider une tireuse de haut niveau à revenir à la pratique de son sport après un burnout. Cette intervention reposait sur la pleine conscience et a montré des preuves d’efficacité pour cette athlète.
On peut également s’appuyer sur les signes précoces et causes identifiées plus haut pour accompagner l’athlète. Par exemple, l’aider à retrouver du plaisir dans sa pratique et réajuster la balance exigences de l’entraînement / récupération. Plusieurs suggestions sont également faites autour des thérapies cognitives et comportementales qui pourraient aider.

Enfin, nos projets actuels proposent de s’intéresser également à la récupération mentale, c’est-à-dire le fait de prendre de la distance mentale vis-à-vis de son sport en pratiquant par exemple d’autres activités intrinsèquement plaisantes, de la relaxation, et en améliorant la qualité de son sommeil. »

Clément: « En tant qu’éducateur sportif, nous sommes de plus en plus confrontés à des parents qui s’investissent excessivement dans la pratique sportive de leur enfant. Selon vos recherches, cette attitude des parents peut-elle être considérée comme un élément déclencheur du burn-out, à court ou à long terme ? »

Sandrine: « C’est une question très intéressante, qui est souvent associée à une spécialisation précoce, c’est-à- dire une spécialisation dans un sport au plus jeune âge. Dans ce contexte, des travaux ont montré que les parents ont un rôle central à jouer pour favoriser un développement psychologique positif chez leurs enfants.

Le soutien psychosocial des parents est un élément essentiel dans le développement de l’estime de soi, de la compétence, et de la réussite des enfants. Les parents peuvent fournir du soutien affectif en réconfortant les enfants pendant les périodes de stress et d’anxiété. Ils peuvent également fournir un soutien informationnel en communicant des informations, des indications lorsque l’enfant rencontre une situation problématique. Ils peuvent également fournir un soutien tangible c’est-à-dire une assistance concrète, par exemple fournir les ressources nécessaires pour aider les enfants à faire face aux événements. Enfin, les parents peuvent aussi fournir un soutien « réseau », par exemple, les parents peuvent assister à des événements sportifs avec leur enfant.

Parallèlement au soutien, les attentes des parents peuvent avoir un effet positif sur les émotions et la motivation des enfants dans le sport. Toutefois, les attentes des parents peuvent aussi devenir une source de pression et de stress qui interfère avec la participation des enfants dans le sport. Il convient donc de faire attention aux attentes que l’on peut avoir sur la pratique des enfants et de s’assurer qu’elles soient en accord avec les attentes des enfants vis-à-vis de leur pratique. »

Un grand merci à Sandrine ISOARD-GAUTHEUR pour sa disponibilité et pour nous avoir accordé cette interview.